Intervention de M. le Batonnier de Paris Pierre-Olivier SUR

Je vous remercie.


Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Membres du Parquet, du Parquet Général,  Mesdames et Messieurs les Professeurs, Chers Confrères, Mesdames et Messieurs,

Pour introduire mon propos, je voudrais donner écho à ce qui s’est dit dans l’autre Grand’Chambre. La première Chambre du TGI de Paris où Madame ARENS tout à l’heure accueillait, et installait Madame le Procureur de la République HOULETTE, Chef du nouveau Parquet Financier National.

Madame ARENS rappelait l’histoire des poursuites concernant le droit financier.

Elle nous indiquait que la révolution avait mis en place un jury populaire spécial pour les affaires financières.

Elle nous traçait ensuite l’histoire rapide des grands procès de pénal financier avec d’abord l’affaire des décorations, nous rappelant qu’à partir de ce dossier-là le Législateur a inventé l’infraction de trafic d’influence.

Puis elle abordait la fameuse affaire STAVISKY et nous rappelait les émois du Conseiller Prince.

Et elle arrivait tout naturellement à ce pénal financier qui est un peu une sorte de tige-guide de la justice exposée dans la presse aujourd’hui. Celle dont on parle et celle qui doit donner l’exemple.

Cette justice-là, elle est la justice par définition même de l’inter-professionnalité.

Lorsque je suis arrivé au Barreau en 1985 on avait oublié les affaires de pénal financier. On parlait encore, mais dans les livres d’histoire des affaires STAVISKY, du scandale des décorations et autres affaires PANAMA, etc.

Mais le pénal financier est revenu, d’un coup, avec l’affaire CHAUMET peut-être vous souvenez-vous des photos à la une de la grande presse qui montrait les deux frères CHAUMET, grands personnages parisiens qui, en réalité, à travers les contrats de confiés faisaient de l’exercice illégal de banquier et de la cavalerie depuis toujours.

Puis, on a eu l’affaire TIBERI, le Maire de Paris. Y allait-il y avoir une perquisition à son domicile au pied du Panthéon ? Peut-être vous souvenez-vous lorsque le Juge d’Instruction a ordonné cette perquisition, le patron de la Police Judiciaire a démissionné. Et ce qui est très extraordinaire pour l’organisation de la Défense, c’est que le Maire de Paris fait venir à l’Hôtel de Ville tous les grands Avocats d’affaires de l’époque et les anciens Bâtonniers. Et puis autour de la table, il fait aussi venir, parce que sa maman connaissait la maman de celui-là, un pénaliste qui ne faisait que de la drogue Thierry HERZOG qui était tout jeune Avocat.

Le Maire de Paris fait faire un tour de table à tous les plus grands avocats de la place en matière de droit des affaires et chacun s’exprime. Et arrive la parole confiée au petit pénaliste pur et dur Thierry HERZOG qui s’exprime sous l’œil goguenard de tous les autres. Et qui dit, Monsieur le Maire vous savez, vous allez être traité comme un bandit de grand chemin. Il va y avoir des perquisitions, des gardes à vue, des écoutes téléphoniques. Il faut qu’on adopte pour vous une défense de bandit de grand chemin. Vous imaginez que tous les autres ont énormément rit et qu’ils étaient persuadés d’avoir conservé confiance du Maire et que le jeune Thierry HERZOG n’aurait rien du tout.

Puis c’est la perquisition et Thierry HERZOG devient l’Avocat du Maire de Paris.

A ce moment-là, le pénal financier est confié aux Avocats qui faisaient de la drogue et de la défense de criminels de grands chemins et de braqueurs de banques, etc.

Mais, ces avocats-là n’étaient pas complètement capables de traiter les mouvements financiers très sophistiqués qui faisaient l’objet des poursuites. Et à partir de ce moment-là est née une nouvelle profession, la main dans la main, les Avocats de souche du pénal et les avocats d’affaires.

Ce qui a constitué un attelage tout à fait nouveau qui a fait changer de métier d’une façon franche et définitive tous ceux qui faisaient du pénal et qui étaient les enfants de ceux qui défendaient les affaires de peine de mort qui avaient disparu en 1981.

Et puis, dans cet attelage là il a fallu mettre évidemment des hommes du chiffre, des experts comptables et puis pourquoi pas des Notaires. Et puis pourquoi pas créer à partir de ce pénal financier là, parce qu’il allait falloir calculer aussi les préjudices économiques, les nouvelles structures qui sont celles à mes yeux celles de demain, des structures d’inter-professionnalité évidemment.

J’oublie les professeurs de droit, dois-je les oublier, non. Ils sont nombreux autour de la table aujourd’hui. Lorsque j’ai plaidé l’affaire ERIKA, puisque vous parlerez tout à l’heure du préjudice écologique. Devant la Cour d’Appel, on a eu une nouvelle idée en défense dire que si le Juge d’Instruction, Madame DE TALANCÉ, avait fait appel à des Experts de Droit pour lui expliquer l’agencement des conventions internationales et du Code Pénal en matière de pollution dans la zone dite économique, c’est qu’elle n’était, elle-même, pas capable de comprendre cet agencement là et le droit positif applicable.

Et si elle ne le comprenait pas, elle, comment pouvait-on punir pour des faits qui auraient été commis par un armateur, un capitaine, un affréteur ?

A partir de ce moment-là, on s’est posé la question de la compréhension du droit et des lors que un juge d’instruction avait recours, en tant qu’Expert Judiciaire, dans le cadre de l’Instruction, à un professeur de droit - je n’ai pas un,  j’ai dit plusieurs - la question du « nul n’est censé ignorer la loi » se posait de façon telle que nous avons bien pensé que toute la construction de l’accusation allait s’écouler.

Mais parce qu’une note interne avait été écrite par le Directeur Juridique de TOTAL à ses services, en disant eu égard à la situation extrêmement compliquée de l’agencement des conventions internationales et du droit pénal, il faut prendre des mesures, parce que sinon on va dans le mur, la Cour de Cassation a dit que chacun avait compris de quoi il s’agissait et qu’au moment du naufrage tout le monde comprenait le droit positif.

En réalité, on est dans une science tellement compliquée qu’on ne pourra pas échapper à l’inter-professionnalité d’exercice.

C’est évidemment ce vers quoi nous travaillons.

Ma génération de responsables professionnels est persuadée que sans une inter-professionnalité intellectuelle entre le pénal, le droit des affaires, le chiffre, les professeurs de droit, et bien nous ne pourrons pas répondre à la fois à l’inflation législative et au côté de plus en plus complexe et sophistiqué des montages qui nous sont présentés.

C’était mon introduction, pour répondre à votre invitation qui est heureusement ciblée vers cet inter-professionnalité là.

Je vais maintenant développer deux idées, sur ce qui m’apparaît être la justice de demain.

Première idée : la justice de demain va se faire sans les magistrats.

Pourquoi ? Parce que vous avez actuellement en France environ 7 000 magistrats. Ce chiffre est à peu près le même que du temps où a été construite cette magnifique salle, c’est-à-dire sous Napoléon III. Depuis Napoléon III jusqu’à aujourd’hui, le chiffre des magistrats en France n’a pratiquement pas évolué. Alors que pendant le même temps la population française, l’économie… tout a changé. Et le nombre d’avocats aussi bien évidemment

Lorsque le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris a reçu les élèves avocats de l’EFB lors d’une grande séance inaugurale que nous avons organisée dans la salle de la mutualité, il est venu leur dire qu’à cause de la pyramide des âges inversée entre la profession magistrat et la profession du barreau, il allait falloir que les avocats, petit à petit, se substituent aux magistrats.

Et cela d’autant plus que l’on annonce dans les trois ans qui viennent le départ à la retraite de 1500 personnes chez les magistrats.

Se substituer, mais comment ?

Eh bien, par les voies alternatives de résolution des conflits ; par tout un tas de procédures petit à petit mises en place, et qui font exactement les travaux de la chancellerie d’aujourd’hui - travaux auxquels s’associent bien évidemment le barreau de Paris.

Sans aller bien sûr, au « jusqu’auboutisme »… Le « jusqu’auboutisme » serait d’aller jusqu’à la disparition du juge, par exemple dans les divorces sans enfants et sans patrimoines, où on nous parlerait d’un divorce sans juge…

Et nous nous sommes exprimés pour dire qu’à nos yeux d’avocats, c’est quelque chose qui est impensable ; car même si il n’y a pas d’enfant, pas de patrimoine, dès lors qu’il y a divorce, il y a un fort et un faible ; et dès lors qu’on est face à ce schéma-là, il faut évidemment au bout du chemin un juge pour protéger, un juge pour trancher.

Mais je suis à la tête d’une profession à Paris (25 600 membres), qui n’a pas connu de numerus clausus et qui aujourd’hui s’en félicite ; parce qu’elle relèvera le défi de la substitution du fait même de la pyramide inversée de ces deux professions-là.

Et cela, côté barreau ne pourra se faire sans une franche inter-professionnalité, comme par exemple, nous le disions tout à l’heure, pour le calcul des préjudices économiques et autres, qui doivent être présentés, travaillés, discutés d’une façon archi-professionnelle afin qu’on aille vers le juge, et qu’avant de  trouver le juge on puisse trouver l’accord.

Et cela ne peut se faire qu’avec la conjonction de savoirs croisés.

La deuxième chose sur la justice de demain, après cet effet de substitution qui va vers une inter-professionnalité et justifie une politique ordinale qui n’a jamais connu de numerus clausus. La deuxième chose, c’est l’international.

Nous sommes ici au cœur de l’île-de-la-Cité, où l’on rend la justice, rappelle souvent Robert BADINTER, depuis les Mérovingiens.

Mais cette île-de-la-Cité, elle nous permet ici – peut-être un jour dans le palais de justice des Batignolles probablement, hélas, mais probablement - aujourd’hui, elle nous permet de nous placer dans un grand Paris qui est une plateforme de droit incontournable dans le monde.

Paris, nous le savons aujourd’hui, est la première place pour l’arbitrage international.

Paris est dans une situation d’exportation de ses meilleurs juristes après avoir été dans une situation où elle a accueilli. Elle a accueilli de façon franchement généreuse depuis que Michel Debré, Ministre de la justice de De Gaulle écrivant la constitution avait dit, demain -c’est-à-dire aujourd’hui- Londres sera, en Europe et dans le monde, la capitale ou l’une des capitales de la finance, et Paris sera la capitale de l’Europe et l’une des capitales dans le monde du Droit.

Et c’est à partir de ce discours fondateur, qu’avec le vice-bâtonnier Laurent Martinet nous citons, à chaque discours, que la politique ordinale du barreau concernant notre tableau et son accès a été non seulement ouverte, de façon généreuse et sans numerus clausus, mais aussi extrêmement accueillante pour les étrangers.

La place de Paris, du coup, a recueilli toutes les structures internationales de juristes qui voulaient s’y installer ; bien sûr les cabinets européens, et bien sûr les cabinets Américains.

Sachez que vous avez à Paris aujourd’hui plus d’une centaine de structures internationales d’avocats. A New York, vous en avez zéro ou quasiment pas et à Londres vous en avez une quarantaine. Bien sûr parmi la centaine en France il y a les anglaises mais tout de même, Paris est la place juridique au monde qui s’est le mieux ouverte et qui a le plus accueilli de structures étrangères.

Et cela, ça donne quoi aujourd’hui ? Il faut s’en féliciter ; et il faut remercier Michel Debré. Il faut également remercier cette politique ordinale très accueillante qui donne un barreau de Paris extrêmement dynamique et apte à passer d’un système à l’autre. J’ai nommé nos deux grands systèmes : le système de la Common Law et le système du droit continental.
Le système de la Common Law … Songez que vous avez aujourd’hui parmi mes 25 600 confrères 7 000 qui travaillent et qui sont collaborateurs dans les structures internationales.

7 000 jeunes… La génération qui monte. Des avocats d’une trentaine d’année qui travaillent dans des structures internationales qui sont donc férus de Common Law, ou qui l’apprennent, ou qui savent de mieux en mieux la décliner.

Mais ces 7000 là, ils sont d’une culture romano-germanique par définition même. C’est leur ADN. Et du coup, cette génération-là, c’est celle qui m’intéresse. Et elle est la meilleure du monde pour aller conquérir les nouveaux marchés…

Quels sont-ils les nouveaux marchés ? Ce sont les pays dans lesquels depuis le début de mon mandat au 1er Janvier, je suis allé… Les nouveaux marchés, ce sont les nouveaux pays d’Asie.

On est allé au Cambodge la semaine dernière. Le Cambodge c’est un pays sous la coupe d’Hun Sen depuis la chute des Khmers rouge, mais qui est encore franchement communiste à l’ancienne, avec les deux pays voisins le Vietnam et la Birmanie… Et tous ces pays s’ouvrent.

Le leader qui devrait remplacer Hun Sen, s’appelle Sam Rainsy, ce qui devrait amener  une ouverture au monde capitaliste. Une ouverture au droit romano-germanique.

La preuve de ce que je veux dire, c’est que le procès des Khmer Rouges, auquel j’ai participé, a permis aux victimes des crimes contre l’humanité, de se constituer partie civile comme en droit romano-germanique.

Songez qu’à Nuremberg les victimes, fils et filles et familles et ayants-droits, des camps de la mort n’étaient que de simples témoins. A Phnom Pen, grâce à l’influence du droit romano-germanique on a imposé en droit Onusien en Common Law la constitution de parties-civiles.

Pourquoi je vous dis ça ?

Parce que dans ces pays-là, qui sont en situation d’émergence prochaine avec une croissance à deux chiffres, le véhicule de croissance qui accompagne la croissance des entreprises et de la finance, c’est évidemment le Droit.

Et ce sont nos juristes à nous qui sont les meilleurs au monde pour s’y placer.

La semaine dernière, j’ai été au Mali, avec la ministre des droits de la Femme, porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud Belkacem. Il s’agit là-bas, dans ce pays, qui sort de la guerre, de reconstruire. Après la guerre, la reconstruction passe par les femmes, parce que cela passe par le tissu social et par le droit.

Et c’est pour ça qu’elle nous a emmenés dans sa délégation. Elle a emmené qui ? Nous ! C’est-à-dire les représentants du droit romano-germanique sur un continent, l’Afrique, qui compte un milliard d’êtres humains, et dont la croissance aujourd’hui est supérieure à celle de notre vieille Europe.

Le Brésil ! Il y a 200 000 Avocats aujourd’hui au Brésil, pays d’Amérique du Sud, un continent, qui déteste la Common Law. Et qui est en situation de rivalité évidente avec l’Amérique du Nord.

Nous y allons dans trois mois !

Nous pensons que la Justice du 21ième Siècle sera une justice entre les mains d’un barreau qui fonctionnera en réseau dans le cadre d’une inter-professionnalité. Et cela, pour répondre à l’inflation législative et au caractère de plus en plus sophistiqué de la demande.

Le barreau de Paris, place forte du Droit dans le monde, s’exportera.

La preuve nous est apportée par nos amis Indiens. L’Inde, pays dans lequel on ne peut pas aller aujourd’hui installer un cabinet à cause de l’Angleterre et d’un protectionnisme inouï ; mais qui est un pays de grande culture juridique.

Pour mon école du barreau, on est en train de passer deux conventions : une convention avec l’université de New Dehli - j’y suis allé et j’ai rencontré le Vice-Chairman - et une convention avec l’université de Bangalore - j’y suis allé là-encore.  La-bas, j’ai rencontré beaucoup de confrères indiens et une fois de retour à Paris, j’ai été contacté par un cabinet qui était très intéressé par le discours que je leur avais tenu sur l’Afrique.
En effet, l’Afrique en ce moment est entre les mains, non pas pour le droit mais pour l’industrie et pour le développement, des chinois et des indiens… Mais les indiens sont incapable d’aller s’installer seuls en tant que juristes en Afrique.

Et ce cabinet indien, qui est venu me voir m’a proposé de faire affaire avec nous pour que nous les aidions en Afrique. Il m’a proposé de nous reprendre, de nous racheter… Réponse : non !

Mais c’est tout de même la preuve de l’intérêt de nos amis indiens, et de nos amis chinois…

La Chine, dont je vous rappelle que c’est également un pays de droit romano-germanique. Ils sont obligés de passer par Paris pour aller vers l’Afrique, qui les fait tant rêver aujourd’hui.

Alors tout cela, je le crois, est un sujet d’optimisme de dynamisme et d’espoir que je suis heureux de vous livrer, car c’est notre politique ordinal au barreau de Paris ; et cela au cœur de cette salle d’audience qui représente, elle-même, tant d’histoire de notre Pays.

Je vous remercie.


 
Dernière modification : 22/03/2014